J’ai avalé mon histoire comme j’ai mangé la tienne, Poète, Sculpteur ou Peintre d’éternité au présent… Quel repas, dis-tu, avons-nous partagé ? À quand, et avec qui , le prochain ? On verra... On lira ... | Marie-Thérèse PEYRIN - Janvier 2015

LECTURES SENTINELLES Eté 2010

Avec J.M.G Le Clézio , être présent …


SILHOUETTE AUX OISEAUX

                                      Dessin de Tanguy Dohollau  ©

   


Tout ce qui ne va pas dans le sens de l’adhésion au réel n’est que remâchonnement de théories usées, abstraction, décollement. Il y a mille façons d’exprimer ce qui est, mais il n’y a qu’une raison de ne pas fuir.

Il se peut que tout cela ne serve à rien. Il se peut que l’homme soit abandonné dans le monde, et voué à la solitude. Il est possible que le bien ne soit qu’une illusion d’action, et que le progrès ne conduise pas vers la vérité. Mais ce qui doit être vrai en chaque individu, ce à quoi il doit employer sa fameuse âme en vacance, c’est à la connaissance du plan de la vie. Savoir ce qu’est une poussière, un bouchon, une goutte d’eau, un bruissement, une lueur. Sentir l’étendue, le froid, la faim, le désir, la peur. Deviner la mort. Etre présent. Etre présent dans sa pensée, comme il l’est dans sa vie, c'est-à-dire coordonner les actes journaliers, les expériences familières, les repas, le sommeil, les fatigues, tous les encombrements, toutes les attaques, toutes les jouissances avec sa conception du monde.

            Jamais la pensée ne se détache du corps. Le langage meurt en même temps que l’homme ; c’est qu’il est, ni plus ni moins qu’une parcelle de sa chair.

            Il ne faut pas quitter le tragique. Le mensonge, c’est peut-être quand on a commencé à ne plus souffrir. L’illusion vient dans le doute est évanoui. Tout ce qu’il faut savoir. Tout ce qui est , et ne partira jamais, et ne s’ouvrira jamais sur la lumière, jamais ! Où est SOI ? Où est SOI dans le monde ? A quel moment s’est-on détaché sans le vouloir, sans le savoir ? Les duretés qu’on perd, ainsi, à chaque seconde, les duretés de la matière,de la révélation venue de la matière et de la vie, et qu’on était pas prêt à recevoir ! Le niveau du contact, le niveau de la nature, comme on est toujours éloigné, à la fois trop au-dessus, et trop en dessous !

            Si je pouvais seulement, l’espace d’une seconde, remplacer mon cerveau et mes nerfs par une cellule photo-électrique !

            Ce qu’il y a sans doute de plus terrible dans la condition sensuelle : vouloir connaître une vérité qui ne soit pas extra-humaine avec les instruments humains. Faire la preuve de la preuve. Toutes les erreurs, tous les dangers sont possibles.





J.M G LE CLEZIO, L’extase matérielle (1967)

 L’infiniment moyen, Folio Essai , 2004, p.200-201.