Avec J.M.G Le Clézio , être présent …
dimanche 11 juillet 2010
Dessin
de Tanguy Dohollau ©
Tout ce qui ne va pas dans le sens de
l’adhésion au réel n’est que remâchonnement de théories usées, abstraction,
décollement. Il y a mille façons d’exprimer ce qui est, mais il n’y a qu’une
raison de ne pas fuir.
Il se peut que tout cela ne serve à
rien. Il se peut que l’homme soit abandonné dans le monde, et voué à la
solitude. Il est possible que le bien ne soit qu’une illusion d’action, et que
le progrès ne conduise pas vers la vérité. Mais ce qui doit être vrai en chaque
individu, ce à quoi il doit employer sa fameuse âme en vacance, c’est à la
connaissance du plan de la vie. Savoir ce qu’est une poussière, un bouchon, une
goutte d’eau, un bruissement, une lueur. Sentir l’étendue, le froid, la faim,
le désir, la peur. Deviner la mort. Etre présent. Etre présent dans sa pensée,
comme il l’est dans sa vie, c'est-à-dire coordonner les actes journaliers, les
expériences familières, les repas, le sommeil, les fatigues, tous les
encombrements, toutes les attaques, toutes les jouissances avec sa conception
du monde.
Jamais la pensée ne se détache du
corps. Le langage meurt en même temps que l’homme ; c’est qu’il est, ni
plus ni moins qu’une parcelle de sa chair.
Il ne faut pas quitter le tragique.
Le mensonge, c’est peut-être quand on a commencé à ne plus souffrir. L’illusion
vient dans le doute est évanoui. Tout ce qu’il faut savoir. Tout ce qui est là, et ne partira jamais, et ne
s’ouvrira jamais sur la lumière, jamais ! Où est SOI ? Où est SOI
dans le monde ? A quel moment s’est-on détaché sans le vouloir, sans le
savoir ? Les duretés qu’on perd, ainsi, à chaque seconde, les duretés de
la matière,de la révélation venue de la matière et de la vie, et qu’on était
pas prêt à recevoir ! Le niveau du contact, le niveau de la nature, comme
on est toujours éloigné, à la fois trop au-dessus, et trop en dessous !
Si je pouvais seulement, l’espace
d’une seconde, remplacer mon cerveau et mes nerfs par une cellule
photo-électrique !
Ce qu’il y a sans doute de plus terrible dans la condition sensuelle : vouloir connaître une vérité qui ne soit pas extra-humaine avec les instruments humains. Faire la preuve de la preuve. Toutes les erreurs, tous les dangers sont possibles.
J.M G LE CLEZIO, L’extase
matérielle (1967)